D’une image, des mots… Texte #01 : Pagne

Je commence ici une nouvelle série de petits textes, écrits en mode semi-automatique : un ami me propose une photo (qu’il aura prise lui-même), et je rédige un texte dessus, sans trop réfléchir. Un peu à la manière de l’improvisation théâtrale, où l’on se lance dans des sketches de quelques minutes à partir d’une phrase proposée par un spectateur.

Ainsi, la photo n’est qu’un point de départ, mais l’histoire peut très vite partir dans une direction inattendue. Je choisis un titre puis j’écris le texte d’une traite, jusqu’à arriver à la fin de l’unique page. Je me permets alors tout de même de revenir sur le texte afin d’en corriger les petites erreurs et d’éventuelles incohérences grossières et peu intéressantes, puis je valide le tout. C’est donc à cheval entre l’écriture libre et l’écriture habituelle.

C’est parti, première session…

feuillage
Photo : N. Perrier (2016)

Pagne

Les grandes feuilles de palmier, luisantes, suffirent à couvrir la nudité de Paul. De quoi retrouver un peu de dignité après la transformation de ses vêtements en sacs et bandages. Il continua son exploration de la plage. Certes, il restait seul, mais au moins… en cas de rencontre…

Oh, certes, peut-être s’agissait-il là d’une pudeur excessive, mais Paul avait toujours eu du mal avec la nudité. Pas dans l’intimité de sa salle de bain, évidemment, mais partout ailleurs cela lui semblait inconfortable, inconvenant, même sans personne autour pour porter le moindre jugement.

Ici, sur cette plage qu’on aurait pu qualifier de paradisiaque si elle ne représentait pas pour Paul un enfer, ce vagabond errait à la recherche de… de quoi au juste ? Il n’en avait pas la moindre idée, mais après un tel choc il lui fallait marcher, trouver quelque chose à faire. Oh, il en avait vu, de ces séries ou films catastrophe dans lesquels un avion ou un bateau se gamelle lamentablement pour laisser quelques survivants galérer sur une île déserte… Mais dans ces histoires de Robinsons modernes, les auteurs prévoyaient généralement des circonstances favorables de nature à aider les naufragés. Il pouvait s’agir de la composition du groupe de survivants, mélangeant différentes compétences utiles. Ou bien de ressources trouvées en abondance pour gérer les premiers besoins en nourriture et en eau potable.

Oui, l’accident de Paul faisait partie des plus improbables et des plus idiots imaginables. Cette montgolfière, qu’il avait mis des semaines à fabriquer dans son jardin de Los Angeles, l’avait emmené bien au-delà de ce qu’il imaginait possible, dans un trou perdu du Pacifique. Une verrue, plutôt qu’un trou. Cette petite île, vue de haut, avait toujours l’air plus accueillante que l’immense océan, mais elle ne promettait rien de bien gargantuesque au niveau des ressources propres à la survie d’un humain, fut-il solitaire.

Paul se mit à crier, à appeler à l’aide. Un réflexe idiot, évidemment. Mais un réflexe tout de même. Une obligation. Durant quelques secondes, Paul continua à vider ses poumons ainsi. Il se sentait un peu ridicule, comme si quelque dieu nébuleux pouvait être en train de se moquer de lui. Cela lui apporta néanmoins une certaine sérénité. Non, tout de même pas. Un certain soulagement, plutôt. Comme si quelque chose en lui l’avait tenaillé jusqu’à ce qu’il le fasse. Jusqu’à ce qu’il pousse l’un de ces cris intenses qu’on ne voit guère qu’au cinéma sans jamais trop avoir l’occasion de les pratiquer. Ce soulagement touchait aussi à une sorte de check-list mentale. Dans cette liste, une ligne importante : si tu es dans la merde, crie, appelle à l’aide. Voilà qui était fait, mais pas de cavalerie à l’horizon.

Paul fit le tour de l’île. Plusieurs fois. Sans rien trouver d’utile. Et mourut de soif en quelques jours.

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