Une nouvelle écrite il y a quelques temps, mais il s’agissait d’un appel à textes pour lequel je n’ai pas eu nouvelles, donc il est temps de la “libérer”.

En passant, j’en ai libéré une autre, toute petite (micro-nouvelle de moins de 200 mots), intitulée Rage !


Le porte-à-porte représentait quelque chose de très nouveau pour Octave. Lui qui avait toujours travaillé dans des bureaux, derrière des écrans aux reflets bleus et scintillants, de ces écrans qui vous coupent du monde, de la chair et du verbe… ce nouveau métier le mettait dans une situation aussi inconfortable qu’exaltante. Qu’allait-il donc découvrir comme personnalités derrière ces innombrables portes renfermant des univers encore inconnus ?

Il se rappela qu’enfant, durant les trajets en voiture avec ses parents, il s’extasiait déjà devant toutes ces fenêtres d’immeubles illuminées le soir. On y devinait quelques éléments de décoration, parfois une personne en train de regarder la télévision ou de fumer une cigarette au balcon. Parfois simplement une ombre derrière un rideau à moitié tiré. Mais il y avait toujours un peu de ce mystère, mystère auquel Octave n’avait plus songé depuis des dizaines d’années, pour revenir aujourd’hui titiller son modeste sens de l’aventure.

Ah, l’aventure !
Pour le monde industrialisé, ça n’avait plus rien à voir avec les exploits des baroudeurs du passé. L’aventure se résumait désormais à avoir la malchance d’être pris dans une émission de télé-réalité, ou dans le meilleur des cas à partir effectuer un tour du monde sans oublier d’en vloguer les moindres détails. Dans ce contexte, Octave se sentait tout à fait digne de l’aventure moderne en allant taper chez des gens qui ne l’attendaient pas. Peut-être même plus, car le fait de faire quelque chose d’inhabituel sans le filmer commençait à partir pour de l’inconséquence quasi pathologique, qualité indispensable à tout véritable aventurier qui se respecte.

Reste qu’il s’agissait de vendre des chocolats.
De bons chocolats, sans doute. Bien qu’à vrai dire Octave n’en avait goûté qu’une ou deux sortes, lors de son étrange entretien d’embauche, et que les cinq ou six autres variétés présentes dans le coffret lui restaient inconnues. Il les goûterait tôt ou tard, mais en attendant il suffirait de se fier au texte proposé par Alain, son patron et unique collègue.

Octave se trouvait désormais dans une situation inédite : devant son premier immeuble, à appuyer sur quelques sonnettes d’interphone jusqu’à ce qu’on lui ouvre, pour enfin monter jusqu’au dernier étage. L’idée était de frapper à tous les appartements jusqu’à arriver en bas. Il suivait la méthode préconisée par son employeur, et ça ne paraissait pas bien idiot.

L’heure était donc venue. Placé devant sa toute première porte, Octave prit une grande inspiration et tâcha de graver cet instant dans sa mémoire. Ce couloir mal éclairé. Cet ascenseur qu’il n’avait pas emprunté, désireux de monter les escaliers pour réduire son stress. Ces murs tapissés d’une moquette improbable. Ce petit sifflement du vent dans quelque canalisation béante. Cette subtile odeur de tabac froid. Le souvenir resterait net.

Le vendeur frappa à la porte.
Pas de réponse.
Suivant le protocole préconisé, il toqua à nouveau après avoir attendu quelques secondes.
Pas mieux.

Certes, on l’avait prévenu, de nombreuses portes resteraient closes. Soit parce qu’on passe au mauvais moment, soit parce que les gens n’attendent personne et s’imaginent que toute visite impromptue ne peut concerner qu’une potentielle arnaque.
Tout de même, sa première porte… Quelle déception.

Octave commençait à tourner les talons lorsqu’il entendit du mouvement derrière la porte, sa porte, sa première porte ! Se figeant à nouveau, réajustant sa cravate, il convoqua son meilleur sourire et présenta devant lui le délicat coffret cacao.

La porte fut déverrouillée.
Puis entrouverte.

Rien de plus.
Aucun mot. Aucun visage dans l’entrebâillement. Juste cette porte à peine ouverte, qui remuait tout doucement en grinçant, jusqu’à s’arrêter en ne dévoilant qu’un appartement sombre.

Un peu décontenancé, Octave comprit tout de même qu’il s’agissait là d’une invitation à entrer, et poussa délicatement la porte après s’être brièvement présenté. Une fois dans le vestibule, il fut bien surpris de voir que personne ne l’y attendait. La pièce était jonchée de bibelots plus ringards les uns que les autres, mais il n’en fit pas grand cas et s’annonça à nouveau, un peu plus fort, avant de chercher le salon dans l’espoir d’y rencontrer son hôte.

S’arrêtant près d’une grande table en bois massif, son attention fut captée par des portraits posés sur une commode. Le jeune homme présent sur les photos ressemblait tellement à son patron ! Octave fut attirée par une pièce un peu plus éclairée et y entra, déclinant à nouveau son identité. Seules quelques bougies illuminaient l’endroit. Une table basse attira l’attention du vendeur. Les photos posées dessus représentaient clairement son chef, cela ne faisait aucun sens ! Au milieu de ce fatras, un papier pliée portait la mention « pour Octave ». Ce dernier se saisit du mot, le déplia, et put en lire le contenu.

« Félicitations. La période d’essai est terminée. Je vous prends. Attention, vous allez recevoir un coup sur la nuque. »

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